Un arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2024 (RG C.23.0363.F) aborde, de façon intéressante, la question des pouvoirs du juge des saisies, spécialement la question -classique- de sa capacité à aborder "le fond du droit".
En l'espèce, la juridiction des saisies statuant en degré d'appel avait refusé d'examiner l'argument pris par l'opposant aux mesures d'exécution entreprises (manifestement sur base d'un acte notarié d'ouverture de crédit, dont on sait que le droit positif admet qu'il puisse posséder, à certaines conditions de précision, une force exécutoire autorisant à ce qu'il serve de titre à l'exécution forcée), de l'irrégularité de la dénonciation des crédits opérée par la banque (en l'espèce, cette dénonciation était manifestement consécutive à une décision unilatérale de résiliation des relations bancaires prise par la banque, quelques mois plus tôt, sur le fondement de l'article 14 de ses conditions générales, dont on peut supposer qu'elle avait engendré un retard de remboursement des crédits concernés qui n'existait pas au moment où elle fut prise).
Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel juge des saisies, qui est, en substance, le juge de l'exécution et de sa régularité (articles 1395 et 1498 du Code judiciaire), n'a pas vocation, à ce titre, à trancher des questions touchant au fond des droits des parties. Elle précise cependant, d'une façon qui ne peut être que saluée, que "cette interdiction ne fait pas obstacle à ce que le juge des saisies examine si de telles contestations (ayant trait au fond du droit) sont sérieuses et susceptivbles d'affecter l'existence même de la créance et, dans ce cas, suspendre la force exécutoire de l'acte notarié dans l'attente d'une décision au fond".
En ce sens, les juges d'appel ne pouvaient valablement se contenter de poser que les contestations soulevées par le débiteur concernant la régularité de la dénonciation du crédit et la qualification de la convention entre les parties relevaient du fond du litige, pour refuser de les examiner: encore fallait-il, en effet, accepter d'examiner si ces contestations ne pouvaient avoir un effet sur la régularité de l'exécution, qui ne se conçoit pas, en dernière analyse, indépendamment du fond du droit. C'est dès lors sans surprise que l'arrêt est cassé.
Si la solution est classique, elle a le mérite d'être rappelée. On peut du reste la rapprocher de celle développée dans autre arrêt, rendu le 30 septembre 2016 (RG C.15.0406.N), en matière de saisie conservatoire, commenté sur notre site sous le titre: "Demande de saisie conservatoire - Action paulienne - Pourvoir du juge des saisies". Lorsque que le juge des saisies connaît du fond du droit pour les besoins de sa mission, sa décision n'engage pas le juge du fond, et les liens entre le juge de l'exécution et le juge du fond font, à cet égard, un peu penser à ceux qui unissent le juge du fond et le juge des référés.