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Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 2024 (RG C.23.0376.F) – Honoraires du curateur, solidarité due par l’associé commandité et « dette de masse »

1.
Dans cette affaire, un avocat postulait, à charge des associés commandités de la société faillie (qui avait donc pris la forme d’une société en commandite simple, qui est aujourd’hui une des formes de société simple), le remboursement de ses honoraires de curateur .

2.
Sur le plan des principes, on se souviendra que les commandités et les commanditaires qui ont habituellement géré les affaires d’une société en commandite simple sont tenus solidairement et de manière illimitée aux dettes de la personne moral.

Il est par ailleurs acquis, même si la solution peut à certains égards interroger (et est d’ailleurs contestée par un certain courant doctrinal et jurisprudentiel), que cette solidarité a cours quelle que soit la date des engagements souscrits par l’être social, et perdure si ceux-ci sont antérieurs à l’acquisition par l’intéressé du statut d’associé commandité (voir par exemple, pour une société en nom collectif, Cass., 7 novembre 2013, RG C.12.0570.N, et conclusions de l’Avocat général Christian Vandewal) ou postérieurs à la cessation de ses fonctions à ce titre (Cass., 24 mai 2012, et conclusions de l’Avocat général Dirk Thijs).

3.
Par un premier jugement du 13 mars 2018, le Tribunal de l’entreprise de Charleroi avait déclaré la demande recevable et fondée. Elle avait condamné solidairement les défendeurs, en leur qualité d’associés commandités, commanditaires et gérants, à rembourser le curateur, considérant que les frais de gestion de la faillite étaient des dettes de la société.

Par un arrêt du 20 juin 2022, la cour d’appel de Mons avait cependant jugé que les frais et honoraires du curateur ne constituaient pas des dettes contractées par la société en commandite simple, dont les associés seraient responsables en application de l'article 202 du Code des sociétés (disposition applicable à l’époque). En effet, selon la Cour d’appel, le curateur, en tant que mandataire judiciaire, a pour mission de réaliser les actifs du failli et d’en distribuer le produit aux créanciers, en sorte que ses frais et honoraires sont des dettes de la masse, devant être payées en priorité sur les actifs réalisés, et ne pouvant être ajoutées au passif social dont les associés commandités sont comptables. En quelque sorte, les dettes de la masse ne lient le failli qu'en tant que propriétaire des biens, et non personnellement. De surcroît, la doctrine avancée par le curateur, selon laquelle le failli doit payer les dettes de la masse non apurées après la clôture de la faillite, ne serait pas pertinente, les actifs réalisés étant, en l’espèce, suffisants pour couvrir les frais et honoraires du curateur avant la clôture de la faillite.

La Cour d’appel parvenait ainsi, sans devoir revenir sur la question discutée (et tranchée par la Cour de cassation dans le sens restrictif évoqué ci-dessus) de la date à laquelle les engagements de l’être social doivent être nés pour pouvoir bénéficier de la solidarité des associés commandités, développé une solution pratiquement équivalente.

4.
Le curateur a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision de la Cour d’appel. Contre l’idée que la dette de la masse ne constituerait pas une dette de la société, et exclurait l’idée que les défendeurs puissent être solidairement tenus au règlement de ses honoraires, il estime que les honoraires sont une dette « ordinaire » contractée par la société, dont le remboursement est personnellement dû par les commandités, autorisant le curateur à introduire, en vue de leur règlement, l’action en solidarité contre les associés tenus personnellement avec la société.

Dans son arrêt du 12 avril 2024, la Cour de cassation reconnaît que les frais et dépens de l’administration de la faillie, dont font partie les honoraires du curateur, sont des dettes du failli, au paiement desquelles les commandités sont solidairement tenus.

Elle ajoute que cette qualification de dettes du failli ne saurait être modifiée par la nature et de la mission du curateur, ni par le processus au terme duquel les honoraires de ce dernier sont payés par anticipation, par recours à la figure de la dette de la masse (ou d’un privilège spécial reconnu).

5.
En l’espèce, la Cour d’appel de Mons avait également considéré, dans son arrêt, que le curateur ne disposait d’aucun titre pour une partie des honoraires réclamés, qu’il n’avait pas fait taxer, de sorte que sa demande de condamnation des associés commandités ne pouvait, à due concurrence de ce montant, être déclarée fondée, par application de l’article 203 du Code des sociétés, qui oblige à prendre titre d’abord contre la société avant de pouvoir mettre en cause la responsabilité solidaire des commandités.

Ce motif n'étant pas critiqué et suffisant, selon la Cour de cassation, à motiver valablement la décision de rejet des juges d’appel, le moyen est déclaré irrecevable, à défaut d’intérêt, dans toute cette mesure.

6.
D’un point de vue critique, si l’on ne peut qu’adhérer à la position selon laquelle les dettes liées à la liquidation de la faillite sont des dettes de la société faillie (indépendamment du débat sur les contours de la notion doctrinale – à vrai dire, et à notre avis, source d’inutiles confusions et complications plus que didactique- de « dette de masse »), il reste à se demander si la conception large du périmètre de la solidarité des gérants commandités est bien justifiée, spécialement en ce qui concerne les actes commis après la fin de leurs fonctions, sur lesquels ils n’ont par définition aucune prise.

Ne tombe-t-il pas sous le sens, à plus forte raison encore, que les commandités ne pourraient être tenus de dettes postérieures la faillite de la société, cette dernière impliquant le dessaisissement du débiteur et, partant, la fin de droit du mandat de gestion dévolu aux administrateurs (en l’occurrence aux gérants commandités), et l’intronisation d’un mandataire « forcé » (de droit) qu’est le curateur ?

A note estime, il serait plus juste, l'un dans l'autre, et plus cohérent, de considérer que la solidarité ne se conçoit qu’à raison du passif contracté ou généré durant la période pendant laquelle l’intéressé a occupé les fonctions d’associé commandité -soit une solution qui n'est pas consacrée par la Cour de cassation à l'heure actuelle. Le fait que la solidarité se conçoive par rapport à l'être moral, et qu'elle soit d'origine légale, n'empêche à notre sens ne rien d'adhérer à cette solution, qui ne fait qu'entériner le fait que la solidarité mise en place par la loi est étroitement liée à l'exercice d'une fonction déterminée, en l'espèce celle de gérant commandité, et qu'elle commence donc et prend fin avec elle. 

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