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Tiers affectant hypothécaire (« cautionnement réel ») et recours subrogatoire : brèves réflexions

1.
Dans un arrêt du 10 décembre 2020 (publié à la Revue critique de jurisprudence belge 2023/2, p. 173, avec une note du Professeur Wéry, « La protection du tiers affectant hypothécaire et le bénéfice de la subrogation »), la Cour de cassation a considéré que l’article 2037 de l’ancien Code civil, qui énonce le principe selon lequel la caution est déchargée lorsque la subrogation ne peut plus, par le fait du créancier, s’opérer en sa faveur, ne s’appliquait pas à l’affectant hypothécaire.

En l’espèce, le créancier (une banque) qui disposait à la fois, en garantie de ses créances, d’un cautionnement du dirigeant du débiteur personne morale et d’une affectation hypothécaire émanant d’un tiers, avait pris la liberté de libérer, un peu rapidement sans doute, la caution, en considérant que celle-ci s’était engagée à titre gratuit (alors même qu'il est acquis, en règle, que la caution donnée par le dirigeant d'une personne morale pour couvrir les engagements souscrits par cette dernière est dotée d'une contrepartie, qui interdit d'y voir un cautionnement à titre gratuit, au sens spécifique de cette notion qui se trouve défini à l'article 2043 bis de l'ancien Code civil).

La Cour d’appel de Mons fut d'avis que la banque avait entravé, ce faisant, le recours subrogatoire de l’affectant hypothécaire contre la caution, en telle sorte que, par application de l’article 2037 de lancien Code civil, le premier pouvait être libéré de son engagement vis-à-vis du créancier, dans une mesure qu’il incombait à un expert désigné par la Cour de déterminer. A l'appui de sa décision de faire application de l’ancien article 2037 du Code civil à la figure de l'affectant hypothécaire, la Cour avait considéré qu’il « est permis d’appliquer au cautionnement réel les règles propres au cautionnement personnel dans la mesure où elles sont compatibles avec la nature de cette sûreté réelle » (s'inspirant ainsi, notamment, de l’arrêt rendu le 22 décembre 2006 par la section néerlandaise de la première chambre de la Cour de cassation, au terme duquel il fut décidé, entre autres choses, que le recours subrogatoire alloué à la caution par les articles 2028 et 2029 de l’ancien Code civil s’appliquait à la « caution réelle »), et que « l’article 2037 du Code civil reprend une règle générale applicable aux sûretés consenties par des tiers qui paient la dette d’autrui ».

La Cour de cassation a cassé la décision des juges d'appel, en énonçant sans équivoque que le tiers affectant réel ne peut prétendre au bénéfice de l’article 2037 de l'ancien Code civil.

2.
Au-delà de la solution retenue par l’arrêt, il est spécialement intéressant de se demander quel pourrait être, en l’absence de règle écrite spécifique (une telle règle existe, par exemple, en droit français, pour avoir été récemment introduite à l’article 2325 du Code civil, à l’occasion de la réforme du droit des sûretés réalisée par ordonnance du 15 septembre 2021), le fondement juridique du recours subrogatoire du tiers affectant.

L’assimilation de ce dernier à un cautionnement est écartée par un important courant jurisprudentiel, notamment par la Cour de cassation de France, à partir de la constatation qu’ « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. fr. ch. mixte, 2 décembre 2006 (pourvoi n°03-18.210). Pour le surplus, la controverse, déjà ancienne, qui agite, tant en France qu’en Belgique, la question de savoir si l’affectant hypothécaire bénéficie d’un recours subrogatoire contre le débiteur, bien exposée dans la note du Professeur Wéry citée supra (pp. 185-186), éclaire à suffisance le caractère délicat de la problématique. La Cour de cassation de France avait notamment admis le recours subrogatoire dans un arrêt du 27 avril 1942, dont les termes sont particulièrement explicites, et pourraient emporter à eux seuls, presque, la conviction : « la subrogation dans les droits du créancier qui a lieu de plein droit en vertu de l’article 1251, §2 du Code civil, au profit de celui qui est tenu pour d’autres au paiement de la dette, bénéficie à la caution réelle comme à la caution personnelle ; qu’il en découle (...) que la caution réelle doit être déchargée lorsque, par le fait du créancier, la subrogation ne peut plus s’opérer ».

Dans sa note sous l’arrêt récent de la Cour de cassation évoqué au point 1 supra, le Professeur Wéry semble estimer que le droit commun des obligations, notamment le principe de bonne foi, permettrait d’offrir des ressources à l’affectant hypothécaire pour justifier la solution d’un recours subrogatoire, même si son analyse se concentre davantage sur la question de la déchéance énoncée par l’article 2037 de l'ancien Code civil comme conséquence de la mise en péril du recours subrogatoire par le fait du créancier.

Il nous semble permis de s'écarter de cette analyse, et de proposer une autre perspective, moins dogmatique et, à notre estime, à la fois plus pénétrante et plus insolite.

A notre avis, la question de savoir si le tiers affectant hypothécaire dispose d’un recours subrogatoire, en l’absence de fondement légal explicite, est en effet à peu de choses près insondable, puisqu'elle dépend de la conception même que l’on se fait de l’idée de garantie – conception qui ne peut être que l’apanage des parties au contrat de garantie, d’une part, le cas échéant d’une disposition de droit objectif supplétif de leur volonté, à défaut pour celle-ci de s'être exprimée, d’autre part.

Il est ainsi -dans le silence des parties- parfaitement défendable a priori de soutenir que la garantie se conçoit comme un acte décisif, inconditionnel, tendant à offrir une garantie au créancier qui vient accroître les protections dont il bénéficie dans la préservation de ses droits vis-à-vis du débiteur, sans considération ni intérêt pour ses rapports avec le débiteur ou pour les implications de l’exécution de son engagement sur ces rapports. Bref, la garantie ne dit rien, comme telle, du rapport entre le garant et le débiteur, elle est absolument indécidable à ce propos, et prétendre tirer de sa nature profonde l’existence nécessaire d’un recours du garant qui s'est exécuté vis-à-vis du débiteur, c’est la faire parler en dehors de son périmètre propre, et lui faire énoncer un principe qu’elle ne comporte, ni ne proclame, de façon nécessaire. Seule une prise de position complémentaire des parties sur ce point peut faire émerger le cas échéant, de source contractuelle, l’existence d’un recours subrogatoire qui ne s’inscrit, comme tel, dans aucune « nature des choses », pas davantage que dans quelque chose comme l’essence de la garantie.

A l’opposé, il semble aussi parfaitement soutenable d’affirmer que la garantie comporte d’elle-même, par une vertu qui lui est propre, intrinsèque, nécessaire, l’idée d’une subordination du garant au débiteur, selon laquelle le premier nommé est, en quelque sorte, un débiteur de second rang, n’ayant d’autre vocation que de suppléer le premier, de pallier sa carence, cette idée suffisant à faire émerger d’elle-même le principe d’un recours subrogatoire du premier vis-à-vis du second, qui n'en est que la traduction, de même que le périmètre de ce recours, qui n'a vocation à s'exercer que dans la mesure de ce que le garant a exécuté en ses lieux et place, d'une part, que dans la mesure où cette action récursoire pour laquelle le garant vient se placer en concurrence par rapport au créancier que sa garantie a pour objet de servir, ne porte pas atteinte aux droits du créancier, d'autre part, soit autant d'éléments qui sont inclus dans l'idée même de garantie. Si l’on suit cette analyse, et la conception de la garantie qui la sous-tend, le recours récursoire apparaît comme étroitement lié à sa nature même, et comme l’incarnation d’une forme de principe général étroitement associé à l'idée même garantie, une résultant nécessaire et essentielle de cette dernière.

Alors, avouons-le, sans crainte : la façon dont il convient d'arbitrer cette alternative est dans le fond, absolument indécidable en droit positif, tout dépendant in fine de l’opinion que tel ou tel juge saisi du différend se fera de l’institution de la garantie, en l’absence de clause spécifique (conventionnelle ou légale) offrant explicitement au garant une action récursoire contre le débiteur, et mettant du même coup en lumière telle ou telle conception de la garantie privilégiée par les parties ou par l'arsenal du droit objectif. Le système de droit objectif (nous visons par là uniquement les normes générales et abstraites, à l’exclusion du doit concret produit par l’activité jurisprudentielle) a donc aussi ses incomplétudes, et c’est du reste ce qui justifie, in fine, qu’il revienne au juge -à qui le déni est, comme on le sait, interdit- de les combler lorsqu’elles se font jour.

3.
Pour être complet, ajoutons que la réforme du livre 5 du Code civil belge a été l’occasion de réécrire et de repréciser les hypothèses de subrogation légale, en prévoyant notamment à l’article 5.220,1° que la subrogation légale a lieu de plein droit « 1° au profit de celui qui s'acquitte d'une dette, s'il a, par son paiement, libéré, à l'égard de leur créancier commun, celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette ».

Énoncé merveilleux d’un truisme, où se déploie toute la vérité, la singularité et l’amplitude de la question posée, et où se diffusent simultanément la délicatesse et la science extrêmes du législateur, qui s'est abstenu de lui apporter une solution dans le cadre des règles relatives à la subrogation ...

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