Contact us: info@legacity.eu

Tax

Notion d'établissement stable en matière de taxe sur la valeur ajoutée, nouvel arrêt de la CJUE

Dans un arrêt du 29 juin 2023, rendu sur question préjudicielle de la Cour d'appel de Liège, dans le cadre d'un litige opposant l'entreprise SA CABOT PLASTICS BELGIUM (ci-après CABOT PLASTICS) et l'administration fiscale belge qui lui réclamait un supplément de TVA, des intérêts, et des amendes, la CJUE a eu l'occasion d'affiner encore un peu la notion d'établissement stable, qui fait déjà l'objet, de sa part, d'une abondante jurisprudence.

Rappelons que cette notion est utilisée -notamment, car le droit fiscal la consacre à d'autres égard, et dans d'autres domaines- à l'article 44 de la directive 2006/112/CE (directive TVA), lequel détermine le lieu de la prestation de services, par référence au lieu du "siège de l'activité économique du preneur assujetti" ou, pur autant qu'il en existe un, de son "établissement stable", et, à défaut de l'un et de l'autre, par référence à son "domicile ou sa résidence habituelle". La notion d'établissement stable est par ailleurs définie, très précisément, à l'article 11, §1er du règlement d'exécution 282/2011, comme "tout établissement, autre que le siège de l'activité économique visé à l'article 10 du présent règlement (c'est-à-dire le lieu où sont exercées les fonctions d'administration centrale de l'entreprise), qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d'utiliser les servicves qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement".

En l'espèce, la société suisse CABOT SWITZERLAND était liée avec la société belge CABOT PLASTICS par un contrat de travail à façon doté d'une exclusivité. Ainsi que la CJUE prend soin de le souligner, les deux sociétés précitées faisaient partie du même groupe, mais étaient indépendantes, bien qu'un lien financier existât entre elles, compte tenu de l'existence d'une grand-mère commune, étant la société luxembourgeoise CABOT LUX HOLDINGS. Le travail à façon effectué par CABOT PLASTICS pour CABOT SWITZERLAND représentait l'essentiel du chiffre d'affaires de la première nommée. Pour le surplus, les relations des parties s'organisaient comme suit, ainsi que la convention de travail à façon l'explicite (point 9 de l'arrêt de la CJUE): "CABOT PLASTICS stocke dans ses locaux les matières premières achetées par CABOT SWITZERLAND, puis les transforme en produits entrant dans la fabrication de plastiques. Elle stocke ensuite ces produits avant qu'ils soient vendus par CABOT SWITZERLAND à partir de la Belgique à ses divers clients sur le marché belge, sur le marché européen ou à l'exportations. Les retraits et les transports des marchandises depuis les installations de CABOT PLASTICS sont réalisés soit par ces clients, soit par des transporteurs externes auxquels CABOT SWITZERLAND a recours". CABOT PLASTICS exerçait également une série de prestations additionnelles au bénéfice de CABOT SWITZERLAND (entreposage, gestion des produits stockés, recommandations, contrôle techniques, etc. - point 10 de l'arrêt de la CJUE).

Saisi par CABOT PLASTICS, le service des décisions anticipées (SDA) de l'administration fiscale belge avait considéré que ses activités ne caractérisaient pas l'existence d'un établissement stable de CABOT SWITZERLAND en Belgique, au sens des dispositions pertinentes du Code des impôts sur les revenus et de la Convention préventive de double impostion entre la Belgique et la Suisse (poiont 11 de l'arrêt de la CJUE). Il est d'ailleurs intéressant, soit di en passant, de rapprocher l'arrêt ici commenté avec la notion d'établissement stable telle qu'on la retrouve dans ces conventions préventives de double impositions modélisées par l'OCDE, avec laquelle il apparaît comme étant pleinement cohérent (fort heureusement, puisqu'il semble a priori souhaitable, sinon salutaire, que la notion fiscale d'établissement stable puisse recevoir une interprétation uniforme dans tous les domaines fiscaux, tant aux impôts directs qu'à la taxe sur la valeur ajoutée).

Nonosbtant le ruling favorable réalisé à l'impôt sur les revenus, l'administration fiscale de la TVA considéra, quelques années plus tard, que la société suisse disposait d'un établissement stable en Belgique, incarné par les moyens techniques (entrepôt et autres) et humains (personnels) mis à sa disposition par la CABOT PLASTICS, et qui lui permettaient d'effectuer, depuis la Belgique, ses ventes et d'exercer depuis ce même pays ses activités économiques (points 12 et 13 de l'arrêt de la CJUE). CABOT PLASTICS contesta cette position et intenta un recours judiciaire contre le redressement fiscal (points 14 et 15 de l'arrêt de la CJUE). Les arguments avancés par l'administration fiscale, dans le contexte du différend judiciaire, à l'appui de l'existence d'un établissement stable en Belgique sont bien résumés aux points 18 à 20 de l'arrêt de la CJUE.  

Renvoyant à la jurisprudence antérieure de la CJUE (notamment l'arrêt Titanium du 3 juin 2021), dont elle estimait ne pouvoir tirer un enseignement décisif pour la solution à donner au litige, la Cour d'appel de Liège a posé trois questions préjudicielle à la juridiction européenne, tendant en substance à savoir si "un assujetti preneur de services, dont le siège d'activité est établi en dehors de l'Union européenne (cela n'était pas contesté, la société suisse ayant clairement établi son centre de direction et d'administration en Suisse, où 47 membres de personnel étaient par ailleurs actifs - voir point 21 de l'arrêt de la CJUE), dispose d'un établissement stable dans l'Etat membre dans lequel est établi le prestataire des services concernés, juridiquement distinct de ce preneur, lorsque l'assujetti prestataire de services réalise au profit de cet assujetti preneur, en exécution d'un engagement contractuel exclusif, ces prestations ainsi qu'une série de prestations accessoires ou supplémentaires, concourant à l'activité économique de l'assujetti preneur dans cet Etat membre, et que les moyens humains et techniques de l'éventuel établissement stable appartiennent au prestataire des services" (point 26 de l'arrêt de la CJUE).  

Rappelant le caractère secondaire, et dérogatoire, de l'établissement stable par rapport à celui du sigère de l'activité économique dans la détermination du lieu de la prestation de services (points 29 et 30 de l'arrêt de la CJUE), reconnaissant que les moyens matériels et humains ne doivent pas nécessairement "appartenir en propre" au titulaire d'un établissement stable, puisqu'il suffit que celui-ci ait le pouvoir d'en disposer de la même manière que s'ils étaient les siens (par exemple au moyen de contrats de service ou de location ne pouvant être résiliés à brève échéance (point 35 de l'arrêt de la CJUE), rappelant que la qualification d'établissement stable doit s'apprécier "au vu de la réalité économique et commerciale" et ne saurait dès lors dépendre du seul statut juridique de l'entité concernée (point 36 de l'arrêt de la CJUE), considérant que le fait que l'assujetti prestataire de services s'engage contractuellement à utiliser ses équipements et son personnel exclusivement pour les prestations de service concernées ne pourrait fonder un établissement stable dans le chef du preneur de services que s'il était établi, "en raison des stipulations contractuelles applicables" celui-ci dispose des moyens humains et techniques de son prestataire comme s'ils étaient les siens (point 37 de l'arrêt de la CJUE), ce qui pourrait éventuellement se prévaloir, en l'espèce, de certains éléments du dossier mis à disposition de la Cour (point 38 de l'arrêt de la CJUE) sans pouvoir pourtant être déduit de la seule existence du contrat d'exclusivité (point 39 de l'arrêt de la Cour), relevant la distinction conceptuelle qu'il convient d'opérer entre le lieu de la prestation de services reçue par l'entreprise preneuse (avec, en toile de fond, l'existence d'un possible établissement stable de cette dernière) et l'endroit où la propre activité économique de cette entreprise doit être localisée, avec pour conséquence que l'existence d'éventuels services fournis par le prestataire de services en vue de faciliter l'exercice, par ladite l'entreprise, de cette activité économique sont sans pertinence pour statuer sur l'existence d'un éventuel établissement stable de cette dernière concernant la réception des services qui lui sont fournis (points 40 et 43 de l'arrêt de la CJUE), rappelant, par référence à sa jurisprudence antérieure, que "les mêmes moyens ne peuvent pas être utilisés à la fois pour fournir des services et recevoir ces mêmes services" (point 41 de de l'arrêt de la CJUE), et réaffirmant, toujours par référence à sa jurisprudence antérieure, que "la circonstance que les activités économiques de sociétés contractuellement liées par une convention de prestations de services forment un tout économique et que les résultats de ces activités bénéficient essentiellement aux consommateurs de l'Etat membre où le prestataire de services a son siège n'est pas pertinente pour déterminer si le preneur de services possède un établissement stable dans cet Etat membre", la Cour a considéré, en substance, et "sous réserve des vérifications de la juridiction de renvoi", que les prestations de service de travail à façon étaient reçues en Suisse par CABOT SWITZERLAND, dès lors que celle-ci ne disposait pas, en Belgique, d'une structure appropriée à cette fin (point 45 de l'arrêt de la CJUE).

Voici un arrêt qui, s'il est à vrai dire difficilement réfutable par la solution qu'il retient, porte à nouveau la griffe et la signature singulière du droit économique, de ses solutions hautement sophistiquées, patiemment élaborées dans les couloirs étranges, sinueux, et dans le fond un peu artificieux du raffinement formel, infiniment dépliées dans cet atmosphère d'incertitude congénitale, de retrait et de repli du réel dignes de la physique quantique d'Heisenberg, qui semblent représenter la marque même de la discipline.   

x
Nous utilisons des cookies de session pour permettre le bon fonctionnement de nos services en ligne. Nous n’utilisons pas d’autres cookies. En savoir plus. Continuer vers le site