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Cour constitutionnelle: les dettes de masse en cas de situation de concours postérieure à une réorganisation judiciaire, et la position des créanciers institutionnels

Dans un arrêt 142/2022 du 10 novembre 2022, la Cour constitutionnelle a validé la solution développée par le législateur, à l'article XX.58, alinéa 2 du CDE, consistant à ériger le principal des dettes institutionnelles (ONSS, TVA, précompte professionnel) encourues en cours de réorganisation judiciaire en dettes de la masse en cas de failite, liquidation ou transfert sous autorité de justice ultérieur, pour autant qu'il y ait un lien étroit entre la fin de la procédure de réorganisation judiciaire et cette procédure.    

Le mécanisme permettant de justifier cette solution relève de la fiction juridique, puisqu'il s'agit de considérer que les prélèvements, cotisations ou dettes en principal considérées "se rapportent à des prestations effectuées par le cocontractant" (article XX.58, alinéa 2 CDE). Ce détour, passablement artificiel, est nécessaire pour pouvoir inscrire la mesure dans la ratio legis qui sous-tend le mécanisme de ces dettes de masse: encourager et compenser, par une sorte de sécurité supplémentaire dont l'application s'enclenchera en cas mauvaise de fortune, le soutien que les partenaires de l'entreprise offrent à cette dernière pendant la période de réorganisation judiciaire. Sous les dehors d'un euphémisme très emprunté, l'alinéa 2 de l'article XX.58 CDE revient ainsi à considérer, en tordant de façon pour le moins spectaculaire la réalité et la nature des dettes considérées, qu'elles découleraient de prestations effectuées par les organismes sociaux et fiscaux considérés en cours de réorganisation judiciaire au bénéfice du débiteur -ce qui pourrait encore se concevoir pour les retenues sociales (qui compensent un service plus ou moins identifié rendu aux cotisants, et présentent dès lors une réciprocité plus ou moins concrète), mais confine à la mission intellectuelle impossible pour les retenues fiscales (aucun lien direct et concret ne pouvant être sérieusement établi entre ces retenues et des prestations accomplies au bénéfice du débiteur en cours de réorganisaion judiciaire, même si l'on ne doute pas, que, d'une point de vue général et très trivial, "nos impôts servent à financer les services de l'Etat").

C'est bien, dès lors d'une pure mesure de faveur qu'il est question en faveur de ces organismes, sans que le raisonnement sous-tendant cette faveur pour les cocontractants "classiques" du débiteur ne puisse sérieusement être transposé aux administrations concernées, dont le soutien n'a pas à être "encouragé" ou "incité" comme peut l'être celui des premiers cités, puisque de soutien (spécifié) il n'est en l'occurrence pas question.

Au terme de deux questions préjucielles, la Cour était interrogée sur la conformité au prescrit constitutionnel de l'égalité de traitement réservée par cette disposition à deux catégories de créanciers se trouvant dans des situations objectivement différentes:

  • l'un offrant des prestations au débiteur en état de réorganisation judiciaire,
  • l'autre se prétendant créancier au titre de dispositions unilatérales, de nature réglementaire, l'érigeant créancier de sommes du débiteur en vertu d'activités déployées par celui-ci pendant la période de réorganisation judiciaire.

On sait, en effet, que le contentieux constitutionnel de l'égalité autorise, par un pied-nez conceptuel à peu près universel, la juridiction qui en est investie à sanctionner non seulement les situations dans lesquelles des personnes se trouvant dans des situations comparables sont traitées de façon différente, mais encore celles, inverses en quelque sorte, dans lesquelles des personnes se trouvant dans des situations objectivement distinctes sont traitées de façon comparable par une même disposition, laquelle provoque dès lors une espèce de discrimination "à l'envers", "en dedans" ou "implicite".    

On se souviendra, pour finir de planter le décor, que la Cour constitutionnelle avait considéré, par un arrêt 47/2017 du 27 avril 2017 (déjà commenté ici), que la solution rigoureusement inverse, que le législateur avait retenu dans la loi relative à la continuité des entreprises, ne violait pas le prescrit constitutionnel.     

Dans le présent arrêt, la Cour semble n'entrevoir aucune difficulté à valider la solution inverse, considérant, au terme de ce qui est un peu devenu une clause de style, que:

"Compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur en matière socio-éconopique, son choix de considérer les dettes fiscales nées pendant la procédure de réorganisation judiciaire comme des dettes de la masse lors d'une procédure subséquente de liquidation, de faillite ou de répartition en cas de transfert sous autorité judiciaire n'est pas incompatible aves les articles 10 et 11 de la Constitution" (point B.10 de l'arrêt). 

La Cour observe également, faisant siens les propos du Conseil des ministres, que "la disposition en cause permet de compenser la position de faiblesse de l'Etat par rapport aux autres créanciers, lesquels peuvent se ménager contractuellement des garanties, se prévaloir de l'exception d'inexécution ou tenter d'obtenur des paiements volontaires. En outre, si la disposition en cause n'avait pas été adoptée, le receveur fiscal pourrait être incité à ne pas accorder des termes et délais à l'entreprise en réorganisation judiciaire" (point B.9 de l'arrêt).    

On regrettera peut-être l'indigence de la motivation de l'arrêt, qui n'aborde pas plus avant la justification de la disposition en cause (nous l'avons dit: encourager le soutien du débiteur en cours de réorganisation judiciaire), et son applicabilité aux créanciers institutionnels, qui ne sont à l'évidence pas des partenaires classiques de l'entreprise débitrice, liés à elle par les liens du marché, mais de simples satellites administratifs du tissu économique, jouant un rôle distinct du sien, et extérieur à celui-ci. A notre avis, un examen plus approfondi sur ce point aurait sans doute permis à la Cour, en se focalisant uniquement sur l'analyse des effets et équilibres internes de la disposition légale en cause (exercice que semble commander le genre dit de la "question préjudicielle", loin de l'interprétation contextuelle à laquelle la Cour est souvent tentée de s'adonner), de remettre en question la conformité de cette disposition à la Constitution.   

En conclusion, deux impressions se dégagent:  

  • l'Etat-législateur nous offre une nouvelle illustration de la pertinence, pour ce qui le concerne, de cet adage bien connu: "on n'est jamais mieux servi que par soi-même"; 
  • l'arrêt illustre, si besoin était, l'infinie maigreur du pouvoir d'appréciation laissé aux juridictions étatiques classiques dans les matières dites du "droit économique" (en réalité ce pouvoir est conceptuellement rigoureusement nul, mais le démontrer déborderait largement le cadre du présent commentaire). 
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