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Banking & Finance

Indemnité de remploi: nouvel arrêt, le désaccord s'installe au sein de la plus haute juridiction du pays

Par un arrêt du 11 février 2022, la Cour de cassation s'est à nouveau prononcée en matière d'indemnité de remploi.

Elle a rejeté sans ambiguïté le pourvoi que la banque dirigeait contre un arrêt de la Cour d'appel de Liège du 22 avril 2020, qui avait décidé de qualifier de "prêt" la convention d'ouverture de crédit conclue entre les parties, en l'espèce aux fins d'une aquisition et d'une rénovation immobilière.

La première chambre (francophone) de la Cour confirme ainsi sa jurisprudence précédente (voyez notamment l'arrêt du 11 mars 2021, commenté sur notre site), en décidant que le caractère réel du contrat de prêt n'empêche pas que les parties s'engagent préalablement par une promesse réciproque à livrer la chose et à l'accepter, laquelle se dénoue en prêt par la remise de la chose, et que, lorsque la promesse réciproque porte sur une certaine quantité de choses, "il ne s'oppose pas davantage à ce que la remise de ces choses soit échelonnée et modifie au fur et à mesure l'objet du prêt".  

L'arrêt accueille ainsi, sans la moindre ambiguïté, et conformément à une tradition très ancienne à laquelle s'était notamment rallié le Professeur De Page, la figure -enfantine !- de la promesse de prêt, qui permet, ce qui n'est pas le moindre de ses mérites, de relativiser singulièrement (en en neutralisant les conséquences pratiques, et en mettant ainsi en exergue son caractère essentiellement dogmatique), l'affirmation du caractère réel du prêt (avec laquelle le droit français a d'ailleurs pris ses distances).

La formule utilisée par la Cour dans le présent arrêt est d'autant plus remarquable qu'elle paraît revêtir une portée extrêmement générale,  et pouvoir être appliquée à toute forme de crédit, quelles que soient les modalités de mise à disposition des fonds. Une telle position devrait signer l'abandon de la casuistique délétère dans laquelle les cours et tribunaux semblaient s'être engagés ces deux dernières décennies, à tort, pour régler la question, consistant à vérifier in concreto dans chaque cas d'espèce si le crédit mérite, au regard de ses caractéristiques, l'appellation de prêt au sens de l'ancien Code civil. Suprenante méthode, revenant à dissoudre dans une factualité factice et postulée, la résolution par définition unitaire, binaire et univoque de la question de droit soulevée ! 

Logiquement, le même arrêt rejette par ailleurs le moyen que la banque tirait de la violation supposée de l'article 1134 de l'ancien Code civil, et qui n'était pas fondamentalement distinct du premier. La Cour se contente d'énoncer, à cet égard, que les juges d'appel ont, en qualifiant la convention de prêt, reconnu à celle-ci l'effet qu'elle a légalement entre les parties.

Cette décision doit sans nul doute être saluée, et approuvée, d'abord en tant qu'elle bride les appétits des établissements financiers confrontés à ces "bons élèves" de la classse des crédités, qui remboursent leurs crédits de façon anticipée, mais surtout en tant qu'elle incarne la seule solution juridiquement possible si l'on consent à prêter une valeur juridique à la figure du crédit bancaire. Il est vrai, en effet, -et cependant-, que la question de la distinction entre prêt et crédit demeure à affiner, et que cette problématique, tout à fait palpitante mais complexe, mérite un examen à part entière, qui doit d'ailleurs conduire, contre tous les présupposés et les impressions premières, à réécrire d'une toute autre façon leur articulation, en assumant de tracer une distinction radicale, étanche et décisive entre le prêt (comme figure juridique, prenant parmi les contrats spéciaux) et le crédit (comme figure non juridique, expression de la normativité concurrente du jeu, apparue spontanément à l'aube de la modernité, dans le contexte des rapports noueux entre les institutions étatiques et le phénomène économique au sens large).

Plus immédiatement, il faut constater qu'entre l'assimilation systématique du crédit et du prêt vers laquelle le dernier arrêt de la première chambre  tend nécessairement, et l'étrange casuistique développée par la chambre néerlandophone dans certains de ses arrêts (voir notamment l'arrêt du 3 férvier 2022, commenté ici), d'où il semble se déduire que la distinction entre prêt et crédit ne serait finalement plus qu'une question de fait abandonnée aux lumières du juge du fond et du cas par cas (ce qui paraît un comble, pour une question qui, à l'origine du moins, paraît avoir tiré sa problématicité, précisément, justement, de sa nature de question ... de droit), le divorce paraît consommé, et qu'un arbitrage prochain serait pour le moins bienvenu, par exemple par le truchement d'un arrêt rendu en audience plénière, voir en chambres réunies.    

En attendant, le temps aura coulé, et la problématique du sort de l'ensemble des crédits contractés à des taux fixes supérieurs aux taux de l'après-crise, dont l'encours ne cesse de diminuer, aura perdu l'essentiel de son intérêt pratique, s'étant réglée d'elle-même par le remboursement des emprunteurs. Un sentiment de malaise considérable subsistera cependant, tant pour les entreprises (qui auront connu, à malheur similaire, tant de fortunes judiciaires diverses, irréconciliables, laissant un amer-goût de chaos sinon d'arbitraire), pour le système bancaire (qui n'aura pas été capable de communiquer franchement et courageusement sur la problématique), que pour le système judiciaire (que la problématique aura suffi à faire sombrer dans la discordre la plus avérée et qui, en trois décennnies, n'aura pas réussi développer une position cohérente, convaincante et décisive sur la question).

Il reste à affirmer, à la décharge de ce bilan mitigé, que la question de la distinction prêt/crédit demeure une des plus vertigineuses qui soit, une de celles qui engage ni plus ni moins que le périmètre du phénomène juridique, la définition de sa limite. Gageons que, sur ce plan-là au moins, la messe soit loin d'être dite.

 

Olivier Creplet   

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