Contact us: info@legacity.eu

Contracts, Torts & Obligations

Prescription de l'action en responsabilité -Action en garantie

Dans un arrêt du 27 janvier 2022 (RG C.21.0137.N), la Cour de cassation a apporté d'intéressantes précisions concernant la prescription de l'action en responsabilité extra-contractuelle, lorsqu'elle est introduite à titre de garantie. 

Les faits de l'espèce étaient les suivants: l'eau d'une Commune avait été polluée par l'écoulement de mazout en provenance d'un terrain industriel. La Commune avait fait intervenir une entreprise pour réaliser les travaux d'assainissement nécessaires. Cette dernière avait demandé le règlement de ses frais à l'industriel responsable, puis, face à son refus, assigné ce dernier. Ayant été déboutée, l'entreprise se tourna finalement vers la Commune et l'assigna en justice. La Commune appela l'industriel en garantie, qui lui opposa la prescription de son action.  

Pour parer à l'argument, la Commune fit valoir qu'en vertu de l'article 2257, alinéa 3 du Code civil, l'action en garantie ne pouvait se prescrire tant qu'il n'y avait pas eu "éviction" dans son chef, c'est-à-dire tant qu'elle n'avait pas été assignée par l'entreprise en paiement de sa facture d'intervention. La juridiction d'appel, suivant cette thèse, avait considéré que l'action en responsabilité extra-contractuelle de la Commune, bien qu'introduite plus de cinq ans après les faits dommageables et la découverte de l'identité responsable, n'était pas prescrite, dès lors qu'en vertu de l'article 2257, alinéa 3, la prescription n'avait pu commencer à courir qu'à dater de l'éviction, c'est-à-dire de l'introduction, par l'entreprise ayant procédé à l'assainissement, de son action contre la Commune. 

De façon de prime abord étonnante, la Cour de cassation a cassé l'arrêt des juges d'appel, après avoir pourtant relevé, à juste titre, que l'article 2257, alinéa 3 du Code civil était l'illustration du principe essentiel selon lequel une action ne peut se prescrire tant que le droit de l'introduire n'existe pas (il faudrait dire, plus exactement selon nous: tant que le droit sur lequel s'appuie cette action n'existe pas). Cette considération aurait dû justifier, nous semble-t-il, que la Cour admette que l'action de la Commune n'était pas prescrite, puisqu'elle se présentait clairement comme une action en garantie à l'encontre du tiers responsable et que, de ce point vue, sa prescription supposait que la Commune soit "évincée", c'est-à-dire interpellée par le prestataire qui avait procédé aux travaux. 

Pour justifier sa position, la Cour de cassation énonce que les frais que la victime engage pour réparer le dommage causé par un tiers ne constituent pas un dommage distinct qui ferait courir un nouveau délai de prescription (alors que la prescription n'est pas liée au dommage, au au droit à réparation qu'il engendre, mais à l'action en justice qui assortit cette réparation), et que la victime qui a contracté avec un tiers pour réparer le dommage et qui réclame ces frais à charge du responsable n'exerce pas une action en garantie au sens de l'article 2257, alinéa 3 du Code civil (ce qui paraît également contestable).   

A vrai dire, cet arrêt nous paraît surprenant, en ce qu'il semble insensible à la distinction, pourtant pertinente en droit, entre l'action en responsabilité extra-contractuelle "pure", "autonome" et celle qui, bien que  s'enracinant dans les mêmes dispositions (l'article 1382 du Code civil ou les autres dispositons qui sont le siège de la responsabilié extra-contractuelle), s'inscrit processuellement dans une action principale, et se définit donc comme une action en garantie, parce que son application est enclenchée par une action principale menée par un tiers, dont il s'agit simplement de garantir l'issue, sans nécessairement obtenir la réparation entière du dommage. 

En ce sens, la Cour de cassation nous paraît avoir préféré, selon une évolution (oserait-on encore dire une "dérive" ?) que l'on ne se désole plus de constater, la logique économique (les actions en réparation tendent, par leur objectif, fonctionnellement, peu ou prou à la même chose, qu'elles soient principales ou en garantie), nécessairement désessentialisante, à la logique juridique, qui appelle une distinction nette et irréductible entre l'action principale en dédommagement, et l'action en garantie suscitée par une action principale.    

De surcroît, rien n'indique, au regard de la terminologie utilisée par l'article 2257, alinéa 3 du Code civil, que les actions en garantie visées sous cette disposition se limiteraient à certains types d'actions (les actions contractuelles par exemple), et la Cour de cassation ne propose aucune piste en ce sens. Au contraire, il faut relever qu'elle avait déjà considéré, au terme d'un arrêt du 8 mai 2017 (RG C.16.0121), que l'action en garantie visée par l'article 2257, alinéa 3, du Code civil, n'est pas seulement l'action ayant un fondement contractuel, mais peut également viser l'action en garantie extra-contractuelle. En fin de compte, c'est peut être le pourvoi en cassation lui-même qui permet d'esquisser une piste de solution pour comprendre la décision de la Cour: celui-ci défendait, d'une façon un peu emmêlée, deux thèses: d'abord celle, à vrai dire peu convaincante, selon laquelle l'article 2257, alinéa 3 du Code civil ne s'appliquerait que lorsque l'action en éviction et l'action en garantie portent "sur la même chose" (les termes du pourvoi étaient assez vagues), par exemple lorsqu'il est question de la réparation d'un même dommage, un tiers attrait ("évincé") par une victime estimant ensuite devoir agir en garantie contre un autre tiers, qu'il tient pour le responsable décisif et global du dommage. Ensuite, celle, peut être plus défendable, selon laquelle il eût fallu que la Commune ait été attraite par un tiers à raison du dommage subi, et se soit ensuite retournée contre le propriétaire du terrain industriel, pour que l'on puisse parler d'"éviction" au sens de l'article 2257, alinéa 3 du Code civil, une telle éviction n'étant pas rencontrée lorsque le défendeur est actionné sur une base contractuelle, en exécution d'un engagement contractuel. 

Si cette dernière thèse semble avoir justifié la solution de la Cour, nous restons perplexes face à l'idée que l'éviction ne se conçoive que dans un cadre extra-contractuel. De même, la volonté de la Cour de traiter juridiquement sur un pied d'égalité -en ce qui concerne la prescription- l'action en responsabilié extra-contractuelle autonome, introduite à titre principal, et cette même action introduite au titre d'action en garantie, nous paraît juridiquement critiquable. Pour notre part, il ne saurait être rendu grâce à la généralité des termes utilisés à l'article 2257, alinéa 3 du Code civil qu'en reconnaissant que celui-ci s'applique à toute forme d'action en garantie, le statut processuel particulier de l'action en garantie suffisant à justifier l'application d'un régime de prescription particulier. 

Rappelons-le une nouvelle fois, quitte à risquer un truisme: la prescription frappe l'action, non le droit, et la singularité de l'action peut dès lors justifier, à fondement matériel égal, des solutions de prescription divergentes. Ne pas s'en tenir à ces lignes claires vient brouiller la cohérence de l'édifice et, avec elle, cette valeur cardinale devenu chimère que l'on appelle la "sécurité juridique", et qui confine, pour notre part, au principe de cohérence de l'ordre juridique, qui est lui-même le marqueur de l'Etat de droit.  

 

Olivier Creplet  

x
Nous utilisons des cookies de session pour permettre le bon fonctionnement de nos services en ligne. Nous n’utilisons pas d’autres cookies. En savoir plus. Continuer vers le site