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Financial Crime

Peut-on invoquer une erreur de son conseil pour échapper à sa responsabilité pénale ?

Dans un récent arrêt du 6 septembre 2017, la Cour de cassation a rappelé les conditions dans lesquelles une personne peut se prévaloir d’un conseil inexact pour éviter de devoir répondre pénalement de ses actes.

En l’espèce, un commerçant (transporteur professionnel) avait, sur la base d’un avis donné par un professionnel « faisant autorité dans le domaine du droit commercial et des sûretés », réalisé l’assiette du privilège du voiturier sans l’autorisation du juge des saisies et celle d’un gage commercial sans l’autorisation du tribunal de commerce et s’était retrouvé à devoir répondre d’un abus de confiance devant le juge pénal.

Pour sa défense, le commerçant avait excipé d’une « erreur invincible » : il estimait ne pas être responsable de l’infraction mise à sa charge dans la mesure où il a cru agir en toute légalité compte tenu de l’avis donné par un spécialiste faisant autorité.

L’arrêt attaqué – après avoir rappelé que la réalisation des assiettes des garanties nécessitait, en l’espèce, une décision judiciaire préalable (soit du juge des saisies, soit du tribunal de commerce) – a suivi cette thèse aux motifs que le prévenu avait, face à la technicité des règles en cause, consulté un spécialiste reconnu qui les a accompagnés tout au long du processus de vente et duquel il avait reçu un avis péremptoire concluant à la licéité de l’opération.

Cette décision sera soumise à la censure de la Cour de cassation.

Pour rappel, l’ignorance et l’erreur invincibles « constituent des causes de non-imputabilité qui concernent momentanément, dans le chef de l’agent, l’exercice de sa faculté de connaître la portée exacte des actes qu’il pose » (1). L’ignorance ou l’erreur peut être de fait ou de droit mais doit être « invincible », à savoir que tout homme raisonnable, prudent et placé dans les mêmes circonstances l’eut commise (2).

C’est précisément sous l’angle de cette dernière condition que la Cour de cassation censura l’arrêt de la Cour d’appel de Liège :

« L'arrêt considère que les défendeurs ne pouvaient pas réaliser l'assiette de leur garantie sans recourir préalablement à une saisie-exécution mobilière ou, dans le cas d'un gage commercial, sans l'autorisation du tribunal de commerce.

Pour acquitter néanmoins les défendeurs de la prévention d'abus de confiance, l'arrêt considère, en substance, qu'il ne peut être affirmé qu'en raison de leur qualité de professionnels du transport, les défendeurs sont nécessairement censés maîtriser la portée et les subtilités du privilège du voiturier et du gage commercial, qu'ils ont volontairement décidé, comme le ferait un homme prudent et diligent au regard de la technicité du droit des sûretés, de consulter un professionnel dont l'autorité en la matière n'était sujette à aucune controverse, que ce dernier les a assistés tout au long de l'opération litigieuse de vente de la chose voiturée, en particulier quant à la validité de la vente à propos de laquelle l'acheteur potentiel souhaitait avoir tous ses apaisements, que les défendeurs ont procédé à la vente du cuivre sur le fondement de l'avis péremptoire de ce professionnel reconnu, que celui-ci a conclu à la licéité de l'opération de vente envisagée, et que le transporteur se prévaut dès lors à bon droit d'une erreur invincible.

Il résulte de ces motifs que les juges d'appel ont déduit l'existence d'une erreur invincible du seul constat que les défendeurs ont donné du crédit à la consultation juridique erronée de leur conseiller dans un domaine du droit que, selon l'arrêt, ils ne devaient pas nécessairement maîtriser, sans avoir vérifié si, en l'espèce, tout professionnel du transport placé dans les mêmes circonstances aurait également réalisé la marchandise sans respecter les formalités requises ».

Cette décision est conforme à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation : une erreur ne saurait être invincible du seul fait que la personne qui en invoque le bénéfice a été mal informée ou conseillée, fut-ce par une personne qualifiée (3).

En conclusion, le prévenu qui entend se prévaloir d’une erreur invincible de droit pour échapper à une mise en cause de sa responsabilité pénale sera attentif à non seulement démontrer avoir suivi l’avis circonstancié d’un juriste qualifié pleinement informé du contexte mais également que toute personne placée dans les mêmes circonstances que lui aurait adopté le même comportement.

Enfin, l’on ne perdra pas de vue que lorsque l’agent invoque une erreur de droit invincible et que son allégation n’est pas dépourvue de tout élément de nature à lui donner crédit, il incombe à la partie poursuivante ou, le cas échéant, à la partie civile, de prouver que cette allégation est inexacte (4).

 

Bruno Dessart

b.dessart@legacity.eu

 

 

  1. Fr. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, Introduction au droit pénal, 5ème édition, Coll. A la rencontre du droit (L. INGBER, sous la dir. de), Diegem, Kluwer – Story-Scientia, 2003, p. 353 qui soulignent la différence conceptuelle mais non opératoire de l’erreur et de l’ignorance : « l’ignorance est l’absence de toute notion ; l’erreur est une notion fausse sur une question donnée »
  2. J.-P. BUYLE et B. DESSART, « La responsabilité pénale des conseillers internes et externes de l’entreprise », in Le droit pénal financier en marche, Coll. Cahiers AEBDF, Louvain-la-Neuve/Antwerpen, Anthemis/Intersentia, 2009, pp. 471-474, n° 8.
  3. Voy. notamment Cass., 31 octobre 1994, Pas., I, 1994, I, p. 879 ; Larcier cass., 1994, n° 1172 ; Cass. 1er octobre 2002, Pas., 2003, p. 492.
  4. Cass., 4 janvier 1994, Pas., 1994, I, p. 6.

 

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