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Contracts, Torts & Obligations

Crise du coronavirus, bail et force majeure

Par un arrêt rendu le 13 septembre 2024 (RG C.23.0370.N), la Cour de cassation (plus spécialement sa 1ère chambre, étant la chambre civile) a admis, sans difficultés apparentes, l'application de la théorie des risques au contrat de bail en période de coronavirus, considérant que son application (incarnée, s'agissant du contrat de bail, par l'article 1722 de l'ancien Code civil) supposait que le trouble de jouissance enduré soit la suite d'une impossibilité, temporaire ou définitive, pour le bailleur, suite à un cas fortuit ou de force majeure, de fournir la jouissance prévue au contrat, et précisant que ceci pouvait être le cas lorsque l'exploitation d'un espace commercial donné en location n'était plus possible conformément à sa destination contractuelle (en l'occurrence un hôtel) à la suite des mesures prises par l'autorité pour lutter contre la pandémie du coronavirus.  

Le moyen développé par le bailleur à l'appui de sa critique du jugement qui avait accueilli la théorie des risques soutenait notamment qu'il était requis, pour qu'il soit question de force majeure, que l'autorité ait limité ou interdit l'accès du public aux lieux, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, puisque les réductions de loyer consenties par le juge d'appel couvraient largement plus que la période dite du "lock-down", d'une part, que les hôtels n'avaient jamais à proprement parler dû fermer, d'autre part. La Cour de cassation écarte clairement ce moyen, en énonçant sans équivoque qu'il n'est pas requis que les lieux soient fermés au public pour qu'il soit question de force majeure, et d'application de la théorie des risques au contrat synallagmatique de bail.  

En l'espèce, le juge d'appel (c'est-à-dire le tribunal de première instance, statuant comme juge d'appel du juge de paix saisi en premier ressort sur base de sa compétence spéciale en matière locative) avait considéré, au terme d'une décision remarquablement motivée et soigneusement fouillée, que le preneur avait droit, compte tenu des conséquences de la pandémie de coronavirus, à une diminution du loyer de 50% pour la période allant du 1er mars 2020 au 30 juin 2022, cet aménagement du contrat correspondant, selon lui, à la juste traduction des entraves subies par le preneur au niveau de sa jouissance du bien consécutivement aux mesures restrictives adoptées dans le contexte de la luttre contre la pandémie.

Pour parvenir à cette décision, le juge d'appel avait d'abord considéré, d'évidence à bon droit, que la question savoir si les mesures contraignantes prises par l'autorité en vue de lutter contre la pandémie (il était alors question, de façon générale, des mesures de distancitation sociale, sous les diverses formes qu'elles ont adoptées tout au long de la pandémie) entraînaient l'impossibilité pour le preneur de bénéficier de la jouissance paisible du bien loué conformément à sa destination contractuelle, était essentiellement une question de fait, devant faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, à l'occasion de laquelle il lui incombait notamment vérifier si les mesures de l'autorité rendaient impossible l'activité spécifique exploitée par le preneur, ou la compliquaient à ce point que celle-ci ne pouvait être poursuivie dans des conditions normales.

S'appliquant au difficile exercice de cette appréciation de fait, libérée du confort de toutes les règles préétablies, il avait relevé, avec un soin particulier, que les mesures gouvernementales, prises en Belgique et à l'étranger, telles que les lockdowns, les fermetures de frontières et les restrictions concernant les voyages, les quarantaines obligatoires des citoyens en cas de risque de contamination, l'interdiction des déplacements non essentiels, la fermeture des commerces, tels que les cafés et les restaurants, la limitation des rassemblements et de diverses activités, avaient eu pour conséquence que l'exploitation d'un hôtel, celui-ci dût-il même ne pas fermer, n'avait de facto pas pu avoir lieu dans des conditions normales. Considérant que l'impossiblité pour le bailleur de satisfaire à son obligation contractuelle n'était pas complète, notamment parce que les hôtels n'avaient pas dû fermer, et s'interrogeant de façon particulièrement affinée sur les conséquences des mesures destinées à lutter contre la pandémie sur l'exploitation de l'hôtel, il avait finalement estimé qu'une réduction des loyers de 50%, accordée pendant une période commençant avec les premières mesures de limitation des voyages internationaux (soit au début du mois de mars 2020), et se terminant avec le retour à la vie normale, consécutif à la levée, au printemps de l'année 2022, des principales mesures restrictives (retour à la vie normale fixé par le juge au mois de juin 2022), constituait la juste "réparation" du trouble engendré par le cas de force majeure que constituait la pandémie. 

Après de nombreuses discussions, dont l'excès de juridisme fût sans doute parfois la marque de la crispation, voici une décision qui restitue à la théorie des risques toute sa souplesse, sa noblesse, sa grandeur d'âme mais aussi, et non sans courage, toute sa difficulté: celle d'une institution 1° largement factuelle, 2° guidée par l'éthique (économique), cette affaire qui se détermine toujours en eaux troubles, 3° n'étant pas sans accointances avec une autre institution dont l'évanesence n'est pas la moindre des caractéristiques (i.e. la théorie de l'imprévision, aujourd'hui "légalisée" dans le livre 5 Code civil), et 4° dont l'application, dans telle ou telle situation, est moins l'affaire de présupposés théoriques plus ou moins confortables que d'une analyse factuelle, âpre, exigeante, et ingrate, toute entière individualisée et dédiée au cas d'espèce.  

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