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Insolvency

Effacement des dettes du failli en nom personnel et délai de forclusion : la Cour constitutionnelle au secours de l'entreprenariat de la seconde chance

Par un arrêt du 21 octobre 2021, la Cour constitutionnelle a annulé l'article XX.173, §2 du Code de droit économique (CDE) "en ce qu’il prévoit que le failli-personne physique qui n’introduit pas une requête en effacement du solde des dettes dans le délai de forclusion de trois mois après la publication du jugement de faillite perd irrévocablement le droit à cet effacement".

Pour rappel, la personne physique en faillite est autorisée à solliciter l'effacement du solde de son passif "sans préjudice des sûretés réelles données par le failli ou un tiers" étant entendu que cette libération est "sans effet sur les dettes alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute" (art. XX.173, §1er du CDE).

Pour obtenir cette libération, il appartient au failli de saisir le tribunal par une requête ajoutée à son aveu ou déposée "au plus tard trois mois après la publication du jugement de faillite" (art. XX.173, §2 du CDE).

Quid cependant si le failli omet de saisir le tribunal d'une telle demande dans le délai imparti ? L'article XX.173. du CDE ne mentionne pas de sanction expresse. Se fondant sur les travaux préparatoires, d'aucuns ont estimé que la volonté du législateur était de prévoir un délai de forclusion avec pour conséquence que le failli tardif devrait être déchu ou forclos de son droit à solliciter le bénéfice de cette libération (voy. notamment Y. GODFROID, « La liquidation des entreprises en difficultés », in Les réformes du droit économique: premières applications, C.U.P., 2019, p. 149 ; D. PASTEGER, « De l’excusabilité à l’effacement: le point sur les mécanismes de fresh start, et de décharge des cautions, dans le Livre XX du Code de droit économique », R.D.C., 2018/3, p. 268; Fr. DE PESLIN LACHERT, " De l’excusabilité à l’effacement des dettes: un juste retour à l’équilibre? », in Actualités en droit commercial et bancaire, Liber Amicorum Martine Delierneux, Larcier, 2018, p. 229 ; Bruxelles, 19 décembre 2019, R.D.C., 2020, p. 792; Gand, 3 juin 2019, R.D.C., 2020, p. 783; Gand, 6 mai 2019, NjW, 2019, p. 529).

Cette approche n'a désormais plus lieu d'être : la Cour constitutionnelle qui, comme elle l'avait déjà annoncée dans son arrêt du 22 avril 2021 rendue sur question préjudicielle, procède à une lecture téléologique de la disposition en cause pour arriver à la conclusion, au travers d'un syllogisme parfait, que, interprété comme étant de forclusion, le délai de trois mois est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle rappelle, d'une part, que "le droit d’accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut également être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l’introduction d’une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s’en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé" (B.4.1., §1er) et, d'autre part, que "les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois"(B.4.1., §3). Autrement dit, "le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa règlementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 24 mai 2011, Sabri Günes c. Turquie, § 58; 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, § 19; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 66)"(B.4.1.§3).

Après avoir énoncé ces principes ainsi que le "large pouvoir d'appréciation" du législateur en matière de délais de forclusion, la Cour constitutionnelle constate que les travaux préparatoires ne justifient notamment pas la raison d'être du délai de trois mois et que "le moment auquel le failli demande l’effacement n’a aucune incidence sur la gestion de la masse, sur la déclaration et la vérification des créances, ou sur la liquidation de la faillite" (B.5.3.) pour arriver à la conclusion "le délai de forclusion en cause ne saurait être considéré comme une mesure pertinente en vue du règlement rapide de la faillite" (B.5.3., §4).

Enfin, la Cour constitutionnelle formule deux motifs superfétatoires mais néanmoins éclairants. D'une part, "le dépassement du délai de forclusion en cause produit des effets disproportionnés pour le failli-personne physique qui perd de ce fait toute possibilité qu’un juge se prononce sur l’effacement du solde de ses dettes et qui doit dès lors irrévocablement continuer à supporter sur l’ensemble de son patrimoine les dettes qui n’ont pas été réglées par la liquidation de la masse" et, d'autre part, "la disposition en cause a également des effets disproportionnés pour le conjoint, l’ex-conjoint, le cohabitant légal ou l’ex-cohabitant légal du failli qui est obligé personnellement à la dette contractée par le failli du temps du mariage ou de la cohabitation légale".

Au travers de ces deux dernières considérations, il se comprend que la Cour constitutionnelle entend rappeler, en quelque sorte, que le législateur - notamment sous l'impulsion des instances européennes - a souhaité promouvoir la "seconde chance" et qu'il est pour le moins paradoxal de reprendre d'une main au travers d'un régime de forclusion injustifié ce qu'il avait donné de l'autre.

Cette décision d'annulation autorise les faillis "forclos" à solliciter, conformément à l'article 16 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la rétractation des décisions rendues sur le fondement de la disposition ainsi annulée. Cette demande de rétractation doit être introduite dans les six mois à compter de la publication de cet arrêt au Moniteur belge.

 


Bruno Dessart
b.dessart@legacity.eu 


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