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Poursuites pénales et éléments de preuve recueillis en violation du secret professionnel de l'avocat: rappel des contours de celui-ci et application de la doctrine Antigone

Dans un arrêt du 19 octobre 2021 (RG P.21.0553.N), la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser les limites du secret professionnel, en l'occurence celui de l'avocat, en énonçant que tombe sous le secret professionnel, en vertu de l'article 458 du Code pénal, "toute information dont l'entrée en connaissance a eu lieu pendant l'exercice de la fonction d'avocat, alors qu'il a été interpellé en cette occasion, pour autant que cette information entretienne un lien raisonnable avec l'exercice de la fonction, et qu'elle soit intrinsèquement confidentielle ou ait été implicitement ou explicitement confiée sous la condition de secret à l'avocat" (traduction libre de l'arrêt, rédigé en néerlandais). 

Cette formulation induit l'idée que toute information confiée par une personne à l'avocat, même en cette qualité, ne tombe pas nécessairement sous le champ du secret professionnel, ce qui nous paraît non seulement heureux, mais en outre conforme à une solution que le droit positif contemporain contribue à mettre en lumière: celui-ci, tout en confirmant, à juste titre, que le secret professionnel de l'avocat constitue un pilier de l'Etat de droit et une valeur cardinale intimement liée aux droits de la défense, invite à se distancier d'une conception trop absolue de celui-ci, selon laquelle il couvrirait nécessairement l'avocat dans toutes les manifestations de ses activités et des communications qu'il entretient avec ses clients, en ce compris, par exemple, celles qu'il tient avec les personnes qui se présentent comme telles à lui mais qui, en réalité, ne cherchent pas tant, par la sollicitation de l'avocat, la défense en justice ou un conseil au regard de la question de la légalité, que réalisation d'autres fins, généralement illicites, pour lesquelles l'avocat et le secret professionnel ne servent que de paravent d'honorabilité. En d'autres termes, et pour recourir à une figure très en vogue, si le secret professionnel existe indubitablement, et si rien, hormis les exceptions  limitativement admises par la loi, n'autorise à ce qu'il soit levé, rien ne permet ni ne justifie davantage qu'il en soit abusé, qu'il soit invoqué à des fins qui sont étrangères à celles, impérieuses, pour lesquelles il a été institué, qu'il puisse profiter à des personnes -clienst ou avocats- qui ne le méritent pas et/ou agissent à des fins illicites. Ce débat -classique s'il en est, et presque immuable- a gagné en vigueur et en visibilité avec la multiplication des règlementations imposant aux avocats des devoirs de communication "aux autorités", lesquelles trouvent nécessairement leur limite, leur déclaque en quelque sorte, dans l'obligation de secret professionnel à laquelle ils sont astreints, qu'il est dès lors impérieux de pouvoir circonscrire nettement. La principale de ces règlementations est  assurément la réglementation préventive du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Au regard de cette problématique des contours du secret professionnel de l'avocat, l'arrêt de la Cour de cassation nous paraît consacrer, de façon heureuse, une conception ancrée, réaliste et vigoureuse, véhiculant l'idée qu'il convient in fine d'aller chercher, dans l'indidivualité de chaque cas, s'il est appelé à jouer et si son bénéfice peut être invoqué. Ceci n'empêche évidemment pas qu'en l'espèce, et comme ce sera d'ailleurs le cas dans la grande majorité des situations, l'arrêt n'ait aucune peine à considérer que l'information litigieuse (extraite d'une conversation entre un avocat et son client) tombait manifestement sous le coup du secret professionnel (point 7 de l'arrêt).    

Pour le surplus, l'arrêt fait une application classique de la doctrine dite "Antigone", relative au sort des preuves irrégulièrement recueillies: comme on le sait, cette doctrine a été consacrée, il y a quelques années, à l'article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, et cantonne la nullité de la preuve à trois types de situations alternatives: 1° la violation de conditions formelles prescrites à peine de nullité, 2° lorsque l'irrégularité a entâché la fiabilité de la preuve ou 3° lorsque l'usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Faisant une juste application de cette disposition, l'arrêt de la Cour de cassation casse l'arrêt des juges d'appel qui avaient -même partiellement- fondé la condamnation du prévenu sur la retranscription d'une communication qui s'était tenue entre un coprévenu et son conseil (et qui violait donc incontestablement, comme le précise la Cour, le secret professionnel), sans avoir vérifié qu'aucune des situations visée par l'article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale n'était rencontrée. 

Il est permis de se demander si la Cour de cassation n'aurait pas pu aller un pas plus loin et, appliquant elle-même la disposition légale tirée de la doctrine Antigone, considérer que l'usage en justice d'éléments de preuve recueillis en violation secret professionnel est nécessairement contraire au droit à un procès équitable, compte tenu des liens très étroits existant entre le secret professionnel de l'avocat et les droits de la défense (liens qu'une abondante jurisprudence, tant nationale qu'internationale, a confirmés), de sorte qu'une telle preuve doit toujours, et systématiquement, être écartée.    

 

Olivier Creplet       

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