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Contracts, Torts & Obligations

Force majeure et cautionnement

Dans un arrêt du 28 juin 2018 (C.17.0701.N), la Cour de cassation a eu l'occasion de se pencher sur une notion cardinale du droit des obligations, plutôt en vogue d'ailleurs en ces temps de pandémie qui ont perturbé l'exécution de bien des contrats: la force majeure. Notion "en creux", la force majeure se blottit dans l'ombre de la faute, elle est son antithèse, exprime son envers, sa négation. C'est dire si elle est étroitement liée à elle.

L'intérêt de l'arrêt ici évoqué est qu'il se penche sur la question de l'application de la force majeure aux contrats financiers, contrats fongibles par excellence, engendrant des obligations qui ne paraissent guère pouvoir périr autrement que par l'exécution ou par la prescription. 

Une société avait contracté un crédit que, par suite d'un incendie exclusif de toute faute dans son chef, elle n'avait plus été en mesure de rembourser. Elle avait cherché, raisonnablement et avec la diligence requise, à substituer à l'immeuble disparu une autre chose qui puisse être abandonnée au créancier en apurement de sa créance (en l'occurrence des sommes, dont on peut supposer qu'il s'agissait de l'indemnité d'assurance), en vain.

La banque assigna alors la caution, en vue de l'entendre condamner aux sommes demeurant dues. Celle-ci excipa de la force majeure (ni tant pour elle-même qu'au niveau de la personne morale, mais au prix de l'invocation de ce qu'elle tenait pour une "exception propre à la dette" (selon le jargon consacré en la matière), qu'il lui était donc permis d'opposer au créancier) pour faire obstacle à la demande de la banque.

Le premier juge, puis la Cour d'appel, suivirent sa thèse et déboutèrent la banque de son action.

Le moyen de cassation faisait valoir que le débiteur d'une chose de genre (en particulier des sommes d'argent) ne peut être libéré par suite d'un cas de force majeure (lié à la disparition des choses en question), par application de l'adage "genera non pereunt", celui-ci exprimant l'idée que le débiteur peut toujours se procurer d'autres choses du même genre, en telle sorte que la disparition de certaines unités du genre ne saurait engendrer l'impossibilité définitive d'exécution qui est la marque de la théorie des risques (dans son volet extinctif des obligations).

Le Ministère public suggérait de suivre la thèse du pourvoi, rappelant, conformément à l'opinion traditionnelle, que l'insolvabilité ne peut pas, dût-elle être exclusive de toute faute dans le chef du débiteur, constituer un cas de force majeure ou engendrer une impossibilité définitive d'exécution l'autorisant à se tenir libéré de l'exécution de son obligation de somme. 

Dans son arrêt, la Cour de cassation, après avoir rappelé que l'impossibilité définitive d'exécution par suite d'un cas de force majeure libère le débiteur (c'est la théorie des risques), énonce que l'insolvabilité de celui-ci, même étrangère à toute idée de faute dans son chef, n'a pas pour conséquence de le libérer de son obligation de somme. La solution doit être approuvée.

La Cour prend soin de ne pas se prononcer sur la question de savoir si l'insolvabilité peut être le fruit d'un cas de force majeure (c'est-à-dire si elle peut être non fautive), qui n'était pas en cause. On se souviendra en effet qu'il convient de distinguer la théorie des risques comme mode d'extinction des obligations issue d'un contrat synallagmatique, consécutif à un cas de force majeure engendrant une impossiblité définitive d'exécution (la théorie trouve notamment à s'appliquer, à notre estime, lorsque, par suite d'un fait du prince, la jouissance du bien loué ne peut plus être procurée au preneur, ce dernier se trouvant conséquemment, et par un principe éthique bien évident, libéré de ses obligations propres, fussent-elles des obligations de sommes), et la force majeure en général, soit un terme générique désignant -comme nous l'avons dit- l'envers de la faute, et dont la survenance (ou la reconnaissance, dans tel ou tel cas déterminé) est loin d'avoir pour effet l'extinction de l'obligation qu'elle affecte (ou de l'obligation réciproque, dans un rapport synallagmatique).

Quant à la faute, par rapport à laquelle la force majeure se définit en creux, il convient d'en adopter, en droit, une conception objective, non moralisante et délestée de toute approche centrée sur les dispositions subjectives de l'agent: elle ne représente ni plus ni moins que la violation d'une obligation préexistante (obligation spécifique ou norme générale de bon comportement).

Si l'insolvabilité peut ne pas être fautive (encore que ce constat repose une conception sans doute déjà trop connotée de l'idée de faute, tendant à sonder l'origine des situations plutôt que leur objectivité, car si l'on s'en tient à cette derrière approche, l'insolvabilité est toujours fautive, puisqu'elle traduit précisément l'incapacité d'exécuter une obligation de sommes, c'est-à-dire sa violation), elle ne saurait en aucun cas libérer, comme telle, le débiteur d'une dette de sommes. Cela semble, à vrai dire, l'évidence, puisque rien ne saurait jamais, en la matière, être définitif. 

D'où il nous vient l'idée que l'obligation de sommes, et le statut de l'argent dans le droit des biens mériteraient de faire l'objet d'une étude approfondie, au carrefour du lien sacré -et combien mystérieux- entre droit et monnaie.

 

Olivier Creplet 

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