Contact us: info@legacity.eu

Legal Solutions

Droit de la responsabilité : la Cour de cassation clarifie certaines implications controversées de la réparation

Dans un intéressant arrêt du 17 septembre 2020 (RG C.18.0294.F), la Cour de cassation s'est prononcée sur les implications concrètes de la réparation du dommage lorsque celle-ci suppose la reconstruction d'un immeuble endommagé.

Dans ce même arrêt, la Cour tranche un point essentiel du régime de l'assurance de responsabilité, à savoir la possibilité pour les compagnies d'assurance de refuser contractuellement leur garantie en matière d'assurance de responsabilité en présence d'une faute lourde de l'assuré, confirmant que les exonérations libellées en termes généraux dans les conditions du contrat d'assurance ne sont pas admissibles. Nous n'évoquons pas ce point plus avant ici, qui avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'un arrêt antérieur de la Cour de cassation, que la décision ci-commentée ne vient que confirmer.

1. Les faits de la cause

Un entrepreneur avait effectué des travaux de terrassement en vue de l'agrandissement d'une habitation. Trois jours après le commencement des travaux, la partie arrière de l'immeuble s’était effondrée.

Les propriétaires du bâtiment obtinrent en référé une expertise en vue de la détermination de leur dommage.

L’expert conclut à deux valeurs alternatives : la première intégrant un coefficient de vétusté (estimation de la valeur de l’ouvrage anéanti juste avant son effondrement); la seconde, plus élevée, n'intégrant pas un tel coefficient (estimation du coût de la reconstruction).

Les propriétaires lésés réclamèrent en justice l'allocation de la seconde de ces valeurs, en vue de la réparation de leur préjudice.

Tant en première instance qu'en degré d'appel, les juges les déboutèrent sur ce point, et considérèrent que, dans la fixation du dommage, il convenait de tenir compte de l’ancienneté de l’ouvrage (avérée en l'espèce, puisque constatée par l'expert) et donc d’imputer un coefficient de vétusté (évalué en l'occurrence à 44%) sur le coût de la reconstruction.

2. L’arrêt de la Cour de Cassation

Saisie sur pourvoi des propriétaires, la Cour énonce sans équivoque, après avoir rappelé le principe du caractère intégral de la réparation, que « celui dont la chose est endommagée par un acte illicite a droit à la reconstitution de son patrimoine par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant ledit acte », avant d'en déduire que la personne lésée est, en règle, en droit de « réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose, sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose endommagée ».

3. Intérêt de cette décision

3.1. Cet arrêt aux allures de décision de principe permet de trancher en termes non équivoques un débat important : lorsque la victime fait face à un dommage, elle a droit à la réparation intégrale de celui-ci, ce qui implique qu'en cas de dommage infligé à une chose, elle a droit par principe à la valeur de réparation/de remplacement de cette chose.

La réparation du dommage implique donc, pour autant que la nécessité de la reconstruction/du remplacement soit avérée, l'allocation d'une indemnité équivalente au coût de reconstruction/de remplacement de la chose, qui ne suppose pas, en règle, qu'il soit tenu compte de sa vétusté.

3.2. La conclusion pourrait être différente si un lien de causalité était constaté entre la vétusté -ou plus exactement la faute que celle-ci traduirait, dans le chef de la victime- et le dommage (ici l'obligation pour l'auteur de la responsabilité de réparer le dommage de la victime): dans ce cas, un partage de responsabilité pourrait être constaté entre l'auteur du dommage et la victime (notons cependant que le statut de la faute de la victime dans le droit de la responsabilité demeure un sujet de discussions).

3.3. Dans l’hypothèse où il n’existe pas de marché d’occasion de choses semblables à la chose endommagée ou détruite, et où il n’est pas possible  de reconstruire/réhabiliter ladite chose avec des matériaux d'usure similaire, la valeur de remplacement tend ainsi à s'apparenter à une valeur à neuf.

La question du traitement à réserver à la plus-value indéniable qui en résulte, pour la victime, qui reçoit in fine une chose de meilleure facture que la chose endommagée telle qu'elle se présentait avant la survenance du dommage, a longtemps fait l'objet de discussions. Cette plus-value fait-elle partie intégrante de la réparation du dommage, ou excède-t-elle les limites de celle-ci ?

Plusieurs décisions considèrent que l'application d'un coefficient de vétusté, parce qu'elle positionne le montant alloué en deçà de ce qui est nécessaire pour réaliser la reconstruction, ne répond pas aux exigences de la réparation (spécialement à la nécessité qu'elle soit intégrale). Une autre partie de la jurisprudence applique un coefficient de vétusté, d’usage, etc, pour ne pas attribuer à la victime davantage que ce qu'elle a perdu.

C'est dans cette dernière voie, d'ailleurs, que la section néerlandophone de la Cour de Cassation semblait s'être engagée, dans ses arrêts des 11 février 2016 (C.15.0031.N, NJW 2016, p.545) et 5 octobre 2018 (C.18.0145.N, Arr. Cass. 2018, p.1843), puisqu'elle y avait énoncé que la valeur de remplacement auquel le préjudicié a droit lorsqu'une chose lui appartenant a été endommagée, est le montant permettant d'acheter une chose similaire, et qu'elle ne correspond pas à la valeur nouvelle de la chose endommagée lorsqu'il ne peut acquérir une chose similaire présentant un même de degré de vétusté.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de Cassation, siégeant en audience plénière (c’est-à-dire une chambre élargie à neuf conseillers, lorsque l’unité de la jurisprudence exige que des conseillers de chaque rôle linguistique siègent ensemble) semble adopter un tout autre point de vue: rappelant en des termes très clairs les implications du principe de réparation, elle énonce que la victime d’un dommage occasionné à une chose qu'elle possède a droit à la remise de cette chose en l'état, indépendamment de sa vétusté.

3.4. Au-delà de leur opposition apparente, il nous semble possible de réconcilier ces points de vue.

Pour ce faire, il paraît permis de s'appuyer sur l'articulation qui existe entre le principe de la réparation en nature, d'une part, la règle subsidiaire de la réparation par équivalent, d'autre part. Dans cette optique, la reconstruction de la chose apparaît comme une modalité de la réparation en nature, c'est-à-dire de la remise des choses dans leur pristin état, même si elle prend in fine la forme de l'allocation d'une somme d'argent, parce que le tiers responsable ne procède pas lui-même à la réfection. Si la partie lésée postule la reconstruction de la chose, comme c'était le cas dans l'affaire commentée (mais beaucoup moins dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts des 11 février 2016 et 5 octobre 2018), et que celle-ci est possible, elle a donc droit à la valeur monétaire de cette reconstruction conformément au principe de la répration en nature. En revanche, si elle inscrit d'emblée sa demande dans l'irréparabilité de la chose (ou son non-remplacement), elle n'est fondée qu'à percevoir la valeur économique de la chose perdue, dans le cadre d'une indemnisation qui s'inscrit incontestablement, et ab initio, dans le modèle de la réparation par équivalent.

Dans tous les cas, l'adoption de la valeur de reconstruction suppose donc qu'il soit préalablement établi que la reconstruction de la chose est bien le mode de réparation idoine du dommage. Lorsque cette reconstruction n'est pas possible, ou n'est simplement pas demandée par la victime, la réparation s'inscrit dans la perspective par équivalent, et prendra la forme d'une indemnité correspondant à la valorisation de la chose perdue, au titre de réparation par équivalent de sa perte.

Enfin, il pourrait être déduit de ce qui précède que si la partie lésée qui a postulé et obtenu la valeur de reconstruction ne procède finalement pas à cette reconstruction, le tiers responsable serait recevable à solliciter la restitution de la différence entre le montant qu'il a versé et la valeur que la chose possédait au moment de sa perte (totale ou partielle).

Réparer tout le dommage, rien que le dommage, that's the question ...


Olivier Creplet et Alexandre Mignon

x
Nous utilisons des cookies de session pour permettre le bon fonctionnement de nos services en ligne. Nous n’utilisons pas d’autres cookies. En savoir plus. Continuer vers le site