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Contracts, Torts & Obligations

Nullité des conventions pour contrariété à l'ordre public: un régime aux contours de plus en plus incertains

Le régime de la nullité des conventions, spécialement celui de la nullité pour contrariété de leur objet à l'ordre public continue à faire couler beaucoup d'encre et, avec lui, c'est tout le droit civil qui paraît bouger sur une banquise indécise. 

Deux arrêts récents sont particulièrement symptomatiques de ces évolutions: 

1. Dans un arrêt du 7 novembre 2019 (RG C.19.0061.N), qui concernait un contrat d'entreprise ayant porté sur la réalisation de travaux contraires aux prescriptions urbanistiques, la Cour de cassation a considéré qu'une convention avait un objet illicite, au sens des articles 6 et 1108 du Code civil, lorsqu'elle obligeait à une prestation qui est interdite par une règle d'ordre public ou contraire aux bonnes moeurs, d'une part, que, lorsqu'il avait été remédié ou pouvait être remédié à ce caractère illicite, en sorte que l'objet de la loi puisse être atteint, la convention pouvait néanmoins demeurer valable, d'autre part. 

Cet arrêt confirmait une double tendance, dont le droit récent de la nullité des conventions paraît s'être considérablement imprégné et qui a souvent été constatée par la doctrine : 

  • une interprétation extensive, parfois surprenante, de la notion d'objet (illicite) d'une convention; 
  • le caractère facultatif, non moins surprenant, de l'annulation de la convention. Ce caractère facultatif peut rappeler certaines solutions contemporaines développées en droit de la procédure (assouplissement du régime des nullités), qui est pourtant par essence fort éloigné du droit substantiel de la validité de l'objet des conventions. On se souviendra par ailleurs, effectivement, qu'un arrêt célèbre rendu en matière de contrat d'agence de voyage avait fait de la nullité du contrat pour méconnaissance d'une forme substantielle voire prescrite à peine nullité une solution non automatique, en ce sens que sa mise en oeuvre supposait la démonstration concrète que la méconnaissance de forme considérée avait eu une incidence sur le consentement du cocontractant protégé. Il semble depuis lors que ce soit tout le régime des nullités, en ce compris les nullités substantielles, qui soit marqué par cette forme particulière d'évolution vers une sorte de pragmatisation de la nullité.

2. Dans un récent arrêt du 20 janvier 2021 (RG C.19.0303.N), qui concernait cette fois un contrat de concession conclu entre divers partenaires public sans avoir respecté -ce que la CJUE confirma dans un arrêt rendu à titre préjudiciel- les règles de non discrimination applicables au niveau européen en matière liberté d'établissement et de libre prestation de services, la Cour a cassé l'arrêt des juges d'appel qui avaient décidé de ne pas annuler la convention considérée sans avoir constaté qu'aucun autre partenaire intéressé n'existait, susceptible d'avoir été évincé à la suite de la méconnaissance de ces règles, ou que des raisons impérieuses d'intérêt général rendaient nécessaires la poursuite des conventions de concession litigieuses. 

Il est possible qu'un enseignement général ne puisse être tiré de cette seconde décision concernant l'objet de notre propos, et que la Cour ait surtout voulu censurer le raisonnement des juges d'appel qui avaient entendu prêter aux principes d'égalité et de non dicrimination invoqués à l'appui de l'annulation un caractère impératif et, partant, relatif, c'est-à-dire strictement limité aux parties protégées par la norme (en l'espèce, c'est un tiers, non personnellement intéressé par le marché, qui invoquait la violation des règles précitées). En effet, la Cour pose clairement, au point 10 de son arrêt, que la méconnaissance des règles d'égalité de et non-discrimination énoncées par le T.F.U.E. en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services relève de l'ordre public et qu'elle implique une nullité absolue, ouverte à tous.   

Toujours est-il que la Cour y confirme également, de la façon la plus explicite qui soit, que la sanction de la nullité est manifestement inappropriée, eu égard à l'objectif des normes violées, lorsqu'il n'existe aucun autre opérateur de marché potentiellement intéressé, d'une part, que le juge peut décider, en dépit de la violation de l'ordre public, de ne pas annuler la convention lorsque des raisons impérieuses d'intérêt général rendent nécessaire la poursuite du contrat, d'autre part.

C'est ainsi tout le régime de l'annulation des conventions qui semble se trouver intégré dans la dynamique, pour le moins incertaine et vaporeuse, de la "mise en balance des intérêts", et acquérir dès lors un caractère factultatif, tout entier inscrit dans l'appréciation du cas par cas déférée au juge de fond.

On est en droit de s'émouvoir de cet émiettement apparent d'une institution qui a longtemps été considéré comme l'une des plus tranchantes, des plus objectives et des plus catégoriques du droit des conventions.      

Et de l'adoption d'un itinéraire qui ressemble un peu à celui qui conduisit Einstein, en quelques années à peine, de la relativité restreinte à la relativité générale ...

 

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