Dans un récent arrêt du 1er juin 2018, la Cour de cassation a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 11 septembre 2015 qui avait confirmé la recevabilité d’une demande en annulation introduite par l’associé d’une société privée à responsabilité limitée à l’encontre d’un acte violant prétendument les dispositions du Code des sociétés en matière de conflit d’intérêts.
En substance, les faits tels qu’ils ressortent de la décision commentée peuvent se résumer comme suit.
En 2011, la société A vend à Monsieur B, son gérant et associé, un immeuble dans des conditions considérées comme critiquables par son autre associée, Madame C, épouse de Monsieur B.
Madame C va introduire une action visant à annuler cette vente, notamment sur la base de l’article 259, §2 du Code des sociétés1.
En première instance, l’action de Madame B. est déclarée recevable et fondée.
Cette décision sera frappée d’appel. L’une des critiques formulées à l’encontre du jugement entrepris portait sur la recevabilité de la demande en annulation de Madame A.
Face à cette critique, la Cour d’appel de Bruxelles a répondu que :
« Dans la mesure où (Madame B) soutenait, dans sa demande originaire, en se basant sur l’avis provisoire de l’expert judiciaire, que la (société A et Monsieur B) ont pu agir de concert en vue de la priver au maximum de ses droits et de lui causer un préjudice propre, distinct de celui de la société, elle justifie ainsi à suffisance de la recevabilité de son action, sur le double fondement de l’action paulienne et de l’article 259, §2, du Code des sociétés ».
La société A s’est pourvue en cassation. Dans son premier moyen, la société A critiquait la décision attaquée au motif que la Cour d’appel de Bruxelles a déclarée recevable la demande en annulation fondée sur l’article 259, §2 du Code des sociétés alors que pareille demande relèverait du monopole d’action de la société, excluant qu’elle puisse être diligentée par un associé ou toute autre personne.
Dans son arrêt, la Cour de cassation énonce que la nullité découlant de la violation des règles en matière de conflit d’intérêts prévues dans le Code des sociétés est une nullité relative destinée à protéger les intérêts de la société de telle sorte que seule cette dernière est autorisée à s’en prévaloir.
Cet enseignement est-il d’application alors-même que l’acte irrégulier préjudicie les intérêts des associés ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative :
« Cet acte leur fût-il préjudiciable, les actionnaires2 ne disposent pas d’un droit propre à agir en nullité dudit acte sur la base (de l’article 259, §2 du Code des sociétés) ».
A défaut de droit propre à agir en annulation sur la base de l’article 259, §2 du Code des sociétés, la demande de Madame C ne pouvait être déclarée recevable.
En conséquence, l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles est cassé.
Cette décision est conforme à l’enseignement de la doctrine en la matière3.
Est-ce à dire qu’un actionnaire, un associé ou plus généralement un tiers est dépourvu de tout moyen pour agir en nullité d’une décision ou d’une opération prise en violation des règles en matière de conflit d’intérêts ? Non, suivant la doctrine, un tiers – y compris un actionnaire ou un associé – peut introduire une action en nullité sous couvert d’une action oblique4. Encore faut-il que les conditions propres à cette action régie par l’article 1166 du Code civil soient réunies5, ce qui n’est pas nécessairement évident dans le chef d’un actionnaire ou d’un associé notamment eu égard à la nécessité d’être titulaire d’une créance certaine et exigible à l’encontre de la société.
Bruno Dessart
b.dessart@legacity.eu
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1. L’article 259 du Code des sociétés dispose que :
« § 1er. Le membre d'un collège de gestion qui a, directement ou indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou à une opération soumise au collège de gestion, est tenu de le communiquer aux autres gérants avant la délibération au collège de gestion. Sa déclaration, ainsi que les raisons justifiant l'intérêt opposé qui existe dans le chef du gérant concerné, doivent figurer dans le procès-verbal du collège de gestion qui devra prendre la décision. De plus, il doit, lorsque la société a nommé un ou plusieurs commissaires, les en informer.
En vue de la publication dans le rapport de gestion visé à l'article 95 ou, à défaut d'un tel rapport, dans un document à déposer en même temps que les comptes annuels, le collège de gestion décrit, dans le procès-verbal, la nature de la décision ou de l'opération visée à l'alinéa 1er et une justification de la décision qui a été prise ainsi que les conséquences patrimoniales pour la société. Le rapport de gestion contient l'entièreté du procès-verbal visé ci-avant.
Le rapport des commissaires, visé à l'article 143, doit comporter une description séparée des conséquences patrimoniales qui résultent pour la société des décisions du collège de gestion, qui comportaient un intérêt opposé au sens de l'alinéa 1.
§ 2. La société peut agir en nullité des décisions prises ou des opérations accomplies en violation des règles prévues au présent article, si l'autre partie à ces décisions ou opérations avait ou devait avoir connaissance de cette violation.§ 3. Le § 1er n'est pas applicable lorsque les décisions ou les opérations relevant du collège de gestion concernent des décisions ou des opérations conclues entre sociétés dont l'une détient directement ou indirectement 95 % au moins des voix attachées à l'ensemble des titres émis par l'autre ou entre sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l'ensemble des titres émis par chacune d'elles sont détenus par une autre société.
De même, le § 1er n'est pas d'application lorsque les décisions du collège de gestion concernent des opérations habituelles conclues dans des conditions et sous les garanties normales du marché pour des opérations de même nature ».
2. Il aurait été, vu le contexte du pourvoi, conceptuellement plus exact de viser les « associés ».
3. Voy., notamment Y. DE CORT (coord.), Société anonyme, RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 383, n° 520 : « seule la société, par l’intermédiaire du conseil d’administration, peut agir en nullité. L’action ne pourrait, par exemple, être intentée par un actionnaire minoritaire ou un créancier » ; D. WILLERMAIN, « Le fonctionnement des organes et la représentation des sociétés », in Droit des affaires et sociétés, Coll. Pratique des sociétés, Limal, Anthemis, 2013, p. 141, n° 16, note infrapaginale 59.
4. Y. DE CORT (coord.), Société anonyme, RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 383, n° 520.
5. P. VAN OMMESLAGHE, Les obligations, Coll. DE PAGE - Traité de droit civil belge, T. II, vol. 3, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 2196 et s., n° 1524 et s.